Est-ce au tour des TF1 et des M6 de souffrir de la concurrence des services payants Netflix et Amazon Prime Video, dont les séries « haut de gamme » telles « House of Cards » ou « Transparent » visaient, il y a seulement quelques années, avant tout les chaînes du câble - HBO, Sky, etc. - ou Canal+ ?
Le recul de la durée d'écoute de la télévision cet automne a sérieusement questionné les chaînes en clair. En septembre, elle a baissé de 18 minutes (sur un an). Sur onze mois, le repli atteint 2,7 %. Du jamais vu depuis longtemps, selon Publicis Media.
Même si plusieurs facteurs ont joué - la météo clémente, la tendance au recul du chômage ou le fait que la télévision ne soit pas (encore) mesurée sur tous les écrans (dont le mobile) -, la SVoD fait partie des « coupables » présumés.
Plusieurs raisons donnent en effet à penser que la télévision en clair est attaquée. D'abord, les plates-formes commencent à accumuler les millions d'abonnés. Netflix en compte près de 10 millions au Royaume-Uni, selon l'institut Barb. Les analystes de Enders estiment qu'il a attaqué la télévision gratuite outre-Manche presque aussi vite que la télévision payante. En France, Netflix a plus de 3,5 millions de foyers connectés.
Des programmes pour les « vieux » sur Netflix
Ensuite, la typologie des séries produites par les plates-formes a changé, avec des programmes plus fédérateurs, même s'ils visent encore des niches, dont les jeunes (« 13 Reasons Why »...). Ironie suprême, alors que la télévision gratuite a du mal - parce que les annonceurs ciblent les moins de 50 ans - à assumer l'âge élevé de son audience avec des programmes spécifiques, Netflix peut se permettre des programmes pour les seniors tels « The Kominsky Method » ou « Grace and Frankie ».
Par ailleurs, Netflix n'est pas le seul. « Amazon a une programmation très familiale, plus typique des chaînes gratuites telle la comédie 'Deutsch-les-Landes' [présentée comme la première création originale, en France, NDLR] », observent Philippe Bailly et Gilles Pezet, chez NPA Conseil.
Après la télévision payante, Netflix attaque la télévision gratuite
Mais ce n'est pas tout. Des bastions de grandes chaînes tombent. L'exemple le plus frappant est celui des documentaires animaliers sur lesquels la BBC se jugeait imbattable, en ambition et en audience. Netflix prépare pour 2019 sa série avec la personnalité qui incarne, pour la BBC, ces programmes : David Attenborough. « Un symbole important », selon Tom Harrington, de Enders Analysis.
Bernard Villegas, du bureau The Wit, note aussi que, avec « The Final Table », un « MasterChef » géant, ou « Ultimate Beastmaster », une sorte de « Ninja Warrior », « Netflix s'attaque au concours de talents, qui est le genre le plus important de la télévision gratuite ».
Accès aux talents
« La télévision gratuite réagit bien en montant en gamme dans ses séries », s'empresse-t-il d'ajouter. « Le problème est que les plates-formes n'affectent pas seulement les audiences, explique Tom Harrington. Elles affectent aussi l'accès aux talents, dont elles renchérissent fortement le coût, notamment sur le haut de gamme, car les poches de Netflix sont profondes. » Selon lui, les choses empirent : « Au Royaume-Uni, Netflix a commencé avec des coproductions avec la BBC, Channel 4 ou ITV. Il y avait partage des droits, le domestique, c'est-à-dire la partie la plus valable, pour les broadcasters, et l'international pour Netflix. Mais c'est fini : maintenant, Netflix prend tout. »
En France, les chaînes sont d'ailleurs de plus en plus critiques à l'égard des plates-formes. La présidente de France Télévisions a ainsi dit qu'elle ne voulait plus vendre de séries à Netflix. Et TF1 ne veut plus vendre ses fictions après les avoir diffusées lui-même. « Avec le recul, le prix payé par Netflix pour 'La Mante' n'est pas à la hauteur de l'exploitation mondiale de l'oeuvre. Nous ne sommes pas contre travailler avec Netflix, mais il faut que le partage du risque et de la
valeur soit plus équilibré, notamment par des investissements en amont de la production, indique Ara Aprikian, directeur général adjoint contenus de TF1. En outre, sur un marché national, notre capacité d'exposition des oeuvres par la télévision est sans commune mesure avec celle des plates-formes. »
Aussi, pour l'heure, les professionnels de la télévision « classique » veulent rester sereins. Grâce au live, les chaînes gratuites sont les seules à pouvoir capter les grosses audiences qui intéressent les annonceurs . Pour les concours de talents comme les télécrochets, elles ont l'avantage de permettre de voter en direct, entretenir le suspense d'une semaine à l'autre, etc. « Nous n'avons pas le sentiment que Netflix est un concurrent comme peuvent l'être les autres chaînes, dans la mesure où il a surtout des programmes de niche qui s'adressent à des publics très ciblés, alors que nous devons fédérer un large public », souligne Xavier Gandon, directeur des antennes de TF1.